Le voyageur imprudent

Conleau, 31 octobre 2019

Il n’est pas rare que la photographie me donne l’étrange sentiment de toucher cette zone indicible où se côtoient l’ordinaire et le poétique, le visible et l’invisible. Cette zone est un lieu qui n’est pas un lieu, un espace en-deçà de l’espace, si bien qu’il m’est difficile de savoir si mes images reflètent l’ordre des choses ordinaires ou l’ordre des choses émanant d’une autre logique. Au fond, que m’importe, car ce que je sais plus sûrement est que c’est toujours par mon propre égarement et par une heureuse fortune que, de l’évidence de leur paraître ordinaire, certaines images glisseront dans l’espace poétique.

Car toutes choses, à chaque instant, ne se déversent-elles pas les unes dans les autres et réciproquement : le visible dans l’invisible, la forme dans le fond, le paraître dans l’imparaître ? N’est-ce pas le mouvement même de la vie ? Vie qui – et dont on ne sait de quel lieu – fait jaillir êtres et choses naissant et mourant en un même mouvement, inlassablement, dans un cycle toujours renouvelé, sans début et sans fin.

Il m’arrive ainsi, par l’acte photographique, sans que je sache au juste comment, de parvenir à m’introduire subrepticement dans ce lieu sans lieu, cet espace en-deçà de l’espace, où choses et êtres passent et repassent les uns dans les autres. Comme un voyageur imprudent, témoin étonné par la danse de la réalité, je documente l’étrangeté du monde.

 

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