Ce que j’aime dans la photographie c’est le double regard croisé (double vue ?) qu’elle me permet de porter sur les êtres et les choses, qui m’invite à me situer dans un espace intermédiaire, entre les deux rives du réel, entre objectivité et subjectivité. C’est dans cet entre-deux, dans cet espace énigmatique, sacré, à la fois sombre et lumineux que s’élaborent mon travail et ma réflexion photographique. Dans une liberté, parfois jugée iconoclaste par des regards conservateurs, je m’aventure à interroger ce grand réel, cette grande Dame majestueuse au visage fuyant et fugace, de La chercher au fond du puits de mes énigmes, et parfois, entr’apercevoir dans l’éclair d’un instant, sa cime inversée dans l’eau du ciel.
Avec les années se confirme une certitude fragile, la photographie m’y conduit : l’extériorité du réel que nous nommons réalité ou objectivité est illusoire, elle n’est qu’un point de vue figé, fragmentaire. La science quantique ne nous a-t-elle pas enseigné l’impossibilité d’isoler, de définir la position spatiale d’une particule : ses instruments de mesure faits d’ondes et de particules interfèrent sans arrêt avec celles que le chercheur d’objectivité tente d’observer… l’horizon de l’objectivité recule à chaque pas que nous faisons vers lui. Ainsi en est-il du monde visible et invisible, il naît, vit, meurt à chaque instant et bien fou celui qui se risquerait à vouloir tenir dans sa main l’objectivité du grand réel !
Heureuse lumière, heureuses énigmes, heureuse photographie qui me délivrent de toute tentation à vouloir enfermer le réel dans les cadres étroits du gris conservatisme. La photographie est illuminative, elle me fait pénétrer au cœur du Réel, du Vivant, laissant à la surface les ombres dansantes, captivantes mais illusoires du grand Réel. A ce bal-là, je n’irai pas danser…