Bretagne, 2016
La photographie rend palpable ce qui dépasse la possibilité de voir. La pleine lumière est insoutenable pour l’œil, nul regard ne peut s’aventurer au-delà de l’insoutenable clarté sous peine d’en revenir aveuglé, l’œil gardant à jamais la mémoire de cette funeste rencontre. Il est coûteux à l’humaine nature de s’aventurer hors de ses frontières. Mais la photographie peut oser l’infranchissable, les lois de l’optique peuvent l’y aider. Prolongement de l’œil et de l’imagination, la photographie rend possible ce qui dépasse parfois la possibilité de voir. Notre nature, rebelle à toute limitation, aspire à voler avec les ailes illimitées que l’imagination – aidée par la technologie – lui octroie. Quand la photographie permet de voir plus loin ne peut-elle pas devenir vecteur de ravissement et de joie, malgré la nuit… ?
2 commentaires sur “La pleine lumière…”
« La pleine lumière est insoutenable pour l’oeil, nul regard ne peut s’aventurer au-delà de l’insoutenable clarté sous peine d’en revenir aveuglé ». C’est la malheureuse aventure de Sémélé qui a demandé à son amant, Zeus, de pouvoir le contempler dans toute sa puissance et sa réalité. Elle fut foudroyée. Et son fils, Dionysos, ne survécut que parce que Zeus l’enferma dans sa cuisse. C’est le Dieu « deux fois né ». C’est le Dieu du théâtre en Grèce et celui de la créativité dans l’ivresse et l’excès. Etre aveuglé par le soleil-Zeus, symbole d’une conscience absolue, peut faire naître « ce qui dépasse parfois la possibilité de voir » dans une affirmation, un oui à l’absolu de la vie associé à la création artistique.
Commentaire instructif sur la mythologie grecque. J’avais oublié la funeste histoire de Sémélé. Ceci dit, je m’interroge sur ce que peut apporter la recherche d’explicative ou de justification (« C’est la malheureuse aventure de Sémélé ») d’un travail artistique par la mythologie ou tout autre plan de référence (psychanalyse, sociologie…). Georges Braque avait cette formule claquante comme un éclair (ou un koan zen) dans le pur ciel du vaste réel : « Les explications fatiguent la vérité ». D’où ma perplexité : le savoir explicatif, aussi intéressant en lui-même qu’il puisse être, est-il au service d’une oeuvre ou au service de lui-même ou de celui qui l’énonce (fascination totalisante du savoir qui s’auto-entretient ou s’auto-confirme) ?
Je reste convaincu que la vie vivante, la vie de l’esprit ne s’élabore pas sur un arrière plan mythologique. Certes, il y a eu l’entreprise freudienne comme tentative de fonder sur les grands mythes le fonctionnement de l’inconscient mais Freud avait besoin, faute d’explicatives physiques, de donner une assise à sa théorie psychanalytique. La tentative freudienne appartient à Freud, elle n’est en rien un postulat universel faisant autorité. Mettre la mythologie comme source explicative de la vie de l’esprit, n’est-ce pas inverser l’ordre des causalités ? Le mythologie comme l’art est oeuvre de l’esprit et s’origine dans un arrière-plan qui n’est autre que la Nature dont les forces visibles et invisibles, dont les lois connues et inconnues n’ont pas fini d’interroger l’esprit humain en quête de vérité. La tentation est toujours grande d’ériger en absolu des constructions intellectuelles qui ne sont que des médiations temporaires entre le Réel (inconnaissable) et la réalité (le Réel réduit à nos conceptions).
Il m’est bien plus bénéfique, fructifiant de comprendre la mythologie comme l’expression symbolique et divinisée des forces invisibles de la Nature. Certes, les divinités ont été détrônées par l’apport des sciences modernes, mais les forces obscures demeurent et l’art (le petit comme le grand), comme la dynamique et le mystère du vivant, n’en sont-ils pas l’expression la plus majestueuse, éblouissante. Je porte en moi la nostalgie d’une source d’eau pure, régénérante. Quand reviendront-ils « ces beaux jours où la science remontait à sa source » ? (pour reprendre la belle formule de Joseph de Maistre). Quand se dissipera le voile du savoir qui recouvre nos yeux et quand de malvoyants que nous étions redeviendrons-nous des voyants ?
Au fond, la photographie m’aide à recouvrer la vue, et dans ce que je vois du vaste réel, nulle trace de discours, de théorie, de mythologie, juste la simple présence des choses dans leur simple beauté. Cela me suffit…